L’anesthésie locale chez l’enfant reste un des temps opératoire clé des soins aussi bien restaurateur que chirurgicaux. Les enfants ont peur de différentes situations de soins mais l’injection d’anesthésie demeure la plus fréquente des peurs, jusqu’à 74 % encore dans une étude récente (Alsarheed M, 2011). Parmi les différentes techniques décrites et disponibles, aucune ne répond complètement au cahier des charges d’une anesthésie locale idéale chez l’enfant.

De manière générale, les enfants bénéficient après les adultes des avancées technologiques. Une fois les preuves d’efficacité et d’innocuité faites chez l’adulte, une tentative d’adaptation chez l’enfant est entreprise. Cependant, nous assistons depuis 5 ans à une augmentation relative de l’intérêt des études chez l’enfant.

Sur l’exemple d’une recherche sur la base de données PUBMED en octobre 2011 par les mots clés : « local dental anesthesia » sans limite d’années et avec la limite d’âge de 1 mois à 12 ans, les résultats sont de 3742 dont 652 articles chez l’enfant (17,4 %), avec la limite des 5 dernières années les résultats sont de 986 dont 113 chez l’enfant (21 %). De nombreuses études portent sur l’association des techniques d’anesthésie et de sédation, car en effet la douleur et l’anxiété sont intimement liées lors de l’anesthésie dentaire.

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Au CHU Timone à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille, la sédation consciente au MEOPA (Mélange Equimolaire d’Oxygène et Protoxyde d’Azote) est utilisée en pratique courante pour les soins dentaires depuis 2000 avec un recrutement d’enfants en échec de soins en ville par manque de coopération, notamment à l’anesthésie, d’enfants en situation de handicap et d’enfants malades hospitalisés. En 1997, la société DHT innove pour l’anesthésie dentaire en remettant au goût du jour la transcorticale avec son matériel QuickSleeper. Elle développe le SleeperOne 3ans après, autre appareil d’anesthésie permettant de réaliser toutes les anesthésies classiques. En 2008, constatant que la douleur générée pas les anesthésies locales infiltrées chez ces enfants reste un facteur d’échec de la séance de soin, parfois annihilant l’effet sédatif du MEOPA, nous décidons de tester l’assistance à l’injection proposée par la société Dental Hi Tec. L’objectif de cette étude de suivi en soins courants a été de mettre en évidence les indications et limites de l’utilisation de l’assistance à l’injection chez l’enfant anxieux en milieu hospitalier.

Le QuickSleeper

Ce système exclusif de mise en rotation de l’aiguille permet la réalisation de l’anesthésie transcorticale, c’est-à-dire la traversée de la corticale osseuse. La rotation discontinue gérée électroniquement permet l’avancée maîtrisée et sans échauffement d’une aiguille courte dans l’os. L’anesthésie transcorticale (ou intradiploïque) consiste à injecter la solution directement dans l’os spongieux à partir d’un point situé de 1 à 5 mm sous la ligne des collets.

Entre septembre 2008 et décembre 2008, l’anesthésie locale assistée avec QuickSleeper a été utilisée chez des enfants anxieux bénéficiant d’une séance sous MEOPA pour leurs soins dentaires. La technique d’injection avec le QuickSleeper a été conforme aux recommandations du fabricant (Dental Hi Tec).
Lors de ces anesthésies, aucune complication anesthésique n’a été relatée.
38 anesthésies ont été réalisées chez 25 enfants âgés de 4 à 18 ans (moyenne d’âge 8 ans).
10 anesthésies de dents permanentes et 28 anesthésies de dents temporaires ont été réalisées.

Tableau 1 : paramètres d’anesthésie locale assistée par QuickSleeper observés chez 38 enfants.

Nombre d’anesthésie par point d’infiltration Nombre de cartouches utilisées en moyenne Nombre de rotations utilisées (type de dents) Score échelle de venham pendant l’injection
20 intraseptales * 3 fois ¼ de cartouche
* 14 fois ½ cartouche
* 2 fois ¾ de cartouche
* 1 fois 1 cartouche
aucune * 20 VH0
17 transcorticales * 1 fois ¼ de cartouche
* 9 fois ½ cartouche
* 4 fois ¾ de cartouche
* 3 fois 1 cartouche
* 2 pour 4 anesthésies sur  1ère molaire mandibulaire
* 1 pour 1 anesthésie sur  1ère molaire maxillaire
*0 pour 12 anesthésies de dent temporaire
* 16 VH0
* 1 VH2
1 intraligamentaire * 1 fois ½ cartouche aucune * 1 VH0

L’anesthésie locale assistée a été la seule utilisée pendant la séance, aucun changement de technique n’a été indiqué.
Les paramètres des anesthésies et les observations ont été regroupés dans le Tableau 1.

Ce qui ressort est la faible quantité d’anesthésique nécessaire, l’absence de morsure post-anesthésie et moins d’inquiétude chez l’enfant qui ne se sent pas « déformé » par l’engourdissement car la diffusion de l’anesthésique dans les muqueuses est réduit. La rotation n’a été nécessaire que lors de l’anesthésie des dents permanentes. Les enfants pendant l’anesthésie locale sont particulièrement détendus, correspondant à l’évaluation « 0 » selon l’échelle de Vehnam modifiée.

Le SleeperOne

Ce système permet seulement une assistance électronique à l’injection. L’intérêt est une pression d’injection faible, en goutte à goutte. La pièce à main, du fait de l’absence de moteur de rotation est très légère, se manipule comme un stylo garantissant des points d’appuis stables et une précision de travail. La commande au pied évite tout mouvement parasite au niveau de l’aiguille lors de l’activation des fonctions. SleeperOne dispose du programme d’injection proposant 4 vitesses.

De janvier 2009 à octobre 2011, l’anesthésie locale assistée avec SleeperOne a été utilisée chez des enfants anxieux en première intention avec ou sans sédation au MEOPA.

Le type d’anesthésie a été choisie par l’opérateur en fonction des recommandations de l’anesthésie locales chez l’enfant (AAPD, 2009).

La technique d’injection avec le SleeperOne a été conforme aux recommandations du fabricant (Dental Hi Tec) : anesthésie muqueuse avec un biseau bien à plat, parallèle à la gencive, puis positionnement de l’aiguille pour une injection intra-osseuse (intraseptale, ostéocentrale) ou intra-ligamentaire. Une anesthésie topique par application de Topex© sur la zone d’injection a été systématiquement réalisée.
Les molécules anesthésiques utilisées ont été de l’articaïne à 1/100ème ou 1/200ème de Noradrénaline.
Les aiguilles très courtes de 10 mm (DHT) ou 9 mm (Septodont) ont été utilisées.
L’injection avec contrôle de pression pour les tissus denses (intraligamentaire, intraseptale) a été choisie. Dans ce mode, l’injection en vitesse lente se déroule sous contrôle permanent de la pression d’injection.

Les critères d’observation relevés ont été :

  • le nombre de cartouches anesthésiques utilisées pour l’acte programmé
  • le score de l’échelle comportementale de Venham modifiée pendant l’injection

360 injections par an ont été réalisées chez des enfants anxieux de 1 à 18 ans, dont 108 injections assistées sous sédation consciente au MEOPA.
Les dents temporaires ont reçu une anesthésie intraseptale (ostéocentrale sans rotation) ou intraligamentaire.
Les dents permanentes ont reçu une anesthésie intraligamentaire.

Les observations ont été :

  • aucune complication anesthésique n’a été relatée.
  • n la quantité de cartouches injectées a été de « 1 » pour 90 % des situations et de « 2 » pour 10 % des situations. n le score de Venham pendant l’injection a été respectivement de 0 pour 50 % des situations,
  • le 1 pour 30 % et 2 pour 20 %. Le score 1 est attribué lorsque l’enfant se plaint pendant l’injection mais ne bouge pas. Le score 2 est attribué lorsque l’enfant réalise un mouvement de retrait pendant l’injection, généralement au début.

Ces observations indiquent donc une bonne acceptation des anesthésies intraseptales (ostéocentrales sans rotation) et intraligamentaires habituellement décrites comme douloureuses. Même si l’enfant perçoit l’injection, sa modification de comportement n’arrête pas l’injection. L’assistance électronique d’injection permet surement de réduire la pression dans cet espace parodontal peu extensible et de ce fait réduit la douleur. Le fait d’avoir la maitrise de la pénétration de l’aiguille grâce à la prise stylo et à l’injection gérée électroniquement, permet d’obtenir ces résultats.

Discussion

L’anesthésie locale avec injection électroniquement assistée a été bien acceptée par les enfants. Elle permet de réaliser une injection locale d’anesthésique avec très peu de réponse comportementale d’anxiété ou de douleur chez l’enfant.

Aucune complication n’a été relevée. Ceci est conforme à la littérature qui précise en effet que l’absence d’anesthésie des tissus mous (joue ou lèvre), élimine le risque d’automorsure (Marie-Cousin, 2008).

Pour l’anesthésie des dents permanentes, l’anesthésie intra-osseuse a démontré sa bonne diffusion dans l’os (Cros, 2007). L’efficacité anesthésique permettant la réalisation des actes courants de dentisterie a été démontrée aussi bien sur les dents temporaires que permanentes jeunes (Sixou, 2008).

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Pour l’anesthésie des dents temporaires, l’anesthésie intrasulculaire a démontré son efficacité avec le système Wand (Ashkenazi, 2006). La réticence à son utilisation sur les dents temporaires tenait du risque potentiel de lésion du germe sous jacent. Or une étude récente n’a pas mis en évidence de lien entre l’anesthésie intrasulculaire d’une molaire temporaire et la présence de défauts sur la dent successionnelle (Ashkenazi, 2010).

Cela peut aisément se comprendre car le germe est bien à distance d’une aiguille de 10mm. De plus le germe d’une prémolaire est situé entre les racines de la molaire temporaire et donc difficilement atteignable par une aiguille insérée dans le sulcus ou dans le septum interdentaire.

Ces observations chez des enfants anxieux sont encourageantes. Ce type d’anesthésie est facile à réaliser pour le praticien, et semble ni douloureuse ni anxiogène à recevoir pour l’enfant. Cependant, les résultats de cette étude de suivi de soins courants ne sont que préliminaires et relèvent d’une pratique d’odontologie pédiatrique exclusive et en CHU. Des études de plus grande étendue et contrôlées sont nécessaires afin de confirmer la tendance observée.

Bibliographie:

  1. Alsarheed M. Children’s Perception of Their Dentists. Eur J Dent. 2011 Apr ;5(2):186-90.
  2. American Academy on Pediatric Dentistry Council on Clinical Affairs. Guideline on appropriate use of local anesthesia for pediatric dental patients. Pediatr Dent. 2008-2009 ;30(7 Suppl):134-9.
  3. Ashkenazi M, Blumer S, Eli I. Effect of computerized delivery intraligamental injection in primary molars on their corresponding permanent tooth buds. Int J Paediatr Dent. 2010 Jul ;20(4):270-5.
  4. Ashkenazi M, Blumer S, Eli I. Effectiveness of various modes of computerized delivery of local anesthesia in primary maxillary molars. Pediatr Dent. 2006 Jan-Feb ;28(1):29-38.
  5. Cros J. L’anesthésie transcorticale : approche expérimentale et intérêt en odontologie Le chirurgien-dentiste de France. 200712 juillet ; n° 13111312.
  6. Dental Hi Tec ; Produits Quicksleeper. [en ligne]. http://www.dentalhitec.com/web3/fra/quicksleeper_p_396.html consulté le 23 octobre 2011.
  7. Dental Hi Tec ; Produits Sleeperone [en ligne]. http://www.dentalhitec.com/web3/fra/sleeperone_p_607.html consulté le 23 octobre 2011.
  8. Marie-Cousin A, Sixou JL. Evolutions de l’anesthésie dentaire chez l’enfant. Clinic. 2008 ; juillet n° 29.
  9. Sixou JL, Barbosa-Rogier ME. Efficacy of intraosseous injections of anesthetic in children and adolescents. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod. 2008 ; Aug ;106(2):173-8. Epub 2008 Apr 18.

Auteur:
Pr Corinne TARDIEU

  • Professeur des Universités
  • Praticien des Centre de Soins d’Enseignement et de Recherche Dentaire n odontologie pédiatrique
  • Assistance Publique Hôpitaux de Marseille Hôpital de la Timone